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mercredi 3 avril 2013

Le dernier repas


Au cours du dernier repas que Jésus a pris avec ses disciples, trois événements importants se sont produits :
- Jésus a annoncé à ses disciples que l'un d'entre eux allait le trahir et le livrer (Mt, 26, 20-25 ; Mc, 14, 17-21 ; Lc, 22, 21-23 ; Jn, 13, 21-30) ;
- Jésus a lavé les pieds de ses disciples (Jn, 13, 1-15) ;
- Jésus a institué le rite du partage du pain et du vin, symboles de son corps et de son sang (Mt, 26, 26-29 ; Mc, 14, 22-25 ; Lc 22, 15-20. Cfr. aussi 1 Cor, 11, 23-26).

Le contexte du dernier repas

L'événement se situe au cours de la semaine précédant la fête de la Pâque juive, qui se situe le 14 du mois de Nisan, premier mois de l'année. Elle commémore le souvenir de la libération du peuple hébreu de sa captivité en Egypte. Dans la nuit de la pleine lune, l'agneau pascal, après avoir été égorgé par un prêtre dans le périmètre du Temple et selon le rituel, est rôti et mangé en famille avec des herbes amères et du pain sans levain.
Cette année-là, le 14 de Nisan tombe un vendredi, veille de sabbat. A l'époque de Jésus, au premier siècle, la fête durait 7 jours.

De nombreux pélerins avaient déjà rejoint la ville sainte pour se purifier. Beaucoup cherchaient Jésus et se demandaient s'il viendrait à Jérusalem pour la fête (Jn, 11, 56). Ils en doutaient. Les grands prêtres et les anciens en effet s'étaient mis d'accord pour l'arrêter par ruse et le tuer (Mt, 26, 1-5 ; Mc, 14, 1-2 ; Lc, 22, 1-2 ; Jn, 11, 45-54). Tout devait aller vite, car  il fallait éviter des troubles dans le peuple en pleine fête (Mt, 26, 5). Caïphe, qui était le grand prêtre, cette année-là, avait réussi à convaincre ses pairs que c'était leur avantage qu'un seul homme meure pour le peuple et que la nation ne périsse pas toute entière (Jn, 11, 50). Des ordres avaient été donnés : quiconque saurait où était Jésus devait le dénoncer afin qu'on se saisisse de lui (Jn, 11, 57). Jésus avait senti l'étau se resserrer autour de lui. Il s'abstenait, depuis quelque temps déjà, d'aller et de venir ouvertement parmi les Juifs. Il s'était retiré dans la région proche du désert, dans la ville d'Ephraïm (Jn, 11, 54).

Malgré le danger, il se met en route avec ses disciples. Pourquoi ? Parce qu'il a, dit-on, la certitude que son heure est venue et qu'il doit affronter son destin.

Il n'en attendait pas tant Jésus. Son retour à Jérusalem donne lieu à une entrée triomphale (Mt, 21, 1-10 ; Mc, 11, 1-11 ; Lc, 19, 28-40 ; Jn, 12, 12-16). La foule l'accueille comme un roi. Comment Jésus a-t-il vécu ce moment ? Jésus n'est pas dupe : il sait parfaitement que la motivation de cette foule en liesse est ambiguë. Ils acclament en lui le thaumaturge, un messie politique, voire une alternative à l'occupation romaine. Bien peu nombreux sont ceux qui ont compris son message, son message spirituel. Ce message qui transparaît pourtant dans toutes ses paroles et tous ses actes : Dieu n'a pas besoin de sacrifices, ni de règles tâtillonnes ; Dieu, qui est tout amour, est d'abord offert à ceux qui sont en manque d'amour ; Dieu s'offre à ceux qui acceptent d'ouvrir leur coeur (et acceptent, pour cela, de mettre leur raison et leurs conditionnements de côté) ; Dieu appelle chacun à la vie, à la libération ...

Selon de nombreux exégètes, c'est juste après cette entrée triomphale, et non après le dernier repas, que Jésus a vécu l'intense moment de doute et de détresse que l'on situe au jardin de Gethsémani (Mt, 26, 36-45 ; Mc 14, 32-42 ; Lc, 22, 40-46). Il savait ce qui l'attendait : la mort injuste. Il a ressenti alors, nous disent les textes, de la tristesse et de l'angoisse. Ces mots sont sans doute insuffisants pour décrire ce que Jésus a pu ressentir. Ils témoignent en tout cas de sa profonde humanité. Un appel me touche particulièrement : " Veillez avec moi ", demande-t-il aux disciples qui l'accompagnaient - autrement dit " Ne me laissez pas seul", face à cette épreuve - appel resté sans réponse, ceux qu'il avait emmenés avec lui, Pierre, Jacques et Jean, s'étant endormis. Ne s'étaient-ils pas endormis aussi, lors de la Transfiguration, apparemment aussi incapables de communier avec Jésus dans la gloire que dans la détresse (Lc, 9, 32). Comment ne pas méditer aussi, et faire sienne, cette autre supplique de Jésus : " Mon Père, si cette coupe ne peut passer sans que je la boive, que ta volonté se réalise. "

Tout était prévu, même le lieu du dernier repas. Jésus invite en effet quelques disciples à prendre contact avec des serviteurs prévenus pour préparer le repas de la Pâque. Et tout se passe comme prévu.  On peut raisonnablement estimer que le dernier repas a eu lieu chez l'évangéliste Jean, le disciple que Jésus aimait. Il était un relais de Jésus à Jérusalem, disciple discret (il appartenait à une famille sacerdotale en vue), mais qui comprenait souvent mieux, et plus vite que les autres, le message du maître. Ceci explique sa présence, lors de  ce dernier repas, lui qui ne faisait pas partie des douze et n'a jamais revendiqué un quelconque statut d'apôtre (contrairement à un certain Paul converti sur le tard).  Comme hôte, il était juste qu'il ait réservé à Jésus une place à ses côtés, ce qui explique qu'il ait été à même de se pencher sur sa poitrine pour l'interroger le moment venu.

Ce dernier repas n'est pas à proprement parler un repas pascal ; il vient avant l'heure et il n'y aura pas d'agneau immolé, selon la tradition. Ce n'est pas non plus un repas joyeux. L'ambiance est même un peu pesante. Ce repas prend la forme d'une liturgie chargée de symboles.

Le traître

Sur quelle base Jésus a-t-il recruté, parmi ses disciples, les douze que l'on a appelés apôtres ? Judas, dit Iscarioth, en tout cas, était l'un deux (Mt, 10, 2). Les recherches menées par les exégètes sur son surnom, ne permettent pas vraiment de connaître la personnalité de cet apôtre. Ce qui est sûr, c'est que dans la communauté que formaient Jésus, ses proches et ses disciples, il tenait les cordons de la bourse. Il était en quelque sorte l'économe de la communauté.

S'attache-t-on à l'argent, à force d'en assurer la gestion ? Judas, de toute évidence, n'est pas quelqu'un de désintéressé. Il a bien perçu le profit qu'il pouvait tirer en livrant Jésus : trente pièces d'argent (Mt, 26, 15), ce n'est pas rien. Il connaît la valeur des choses. Ne s'était-il pas indigné du prix du parfum versé par Marie sur les pieds de Jésus (Jn, 12, 4-5) ?

Le plus souvent, on réduit Judas à ce rôle méprisable où il monnaie une vie. Judas était peut-être déçu. Le royaume dont parlait Jésus n'était peut-être pas celui qu'il espérait.

Ceci doit nous interpeler. On peut faire partie des proches de Jésus et être prêt à le trahir par intérêt. On peut faire partie des proches de Jésus et, par peur, ne pas oser l'affirmer (trois fois, dans le cas de Pierre, Mt, 26, 69-75 ; Mc, 14, 66-72 ; Lc, 22, 56-62 ; Jn, 18, 17  et 25-27). Il n'y a pas que des saints autour de Jésus. Cela était vrai alors, cela reste vrai aujourd'hui. Je suis frappé par le fait que ceux qui exigent de l'Eglise qu'elle soit parfaite, sans tache, sans brebis galeuse, sont d'abord ceux qui n'en font pas partie. Ils utilisent les failles de l'Eglise pour la décrédibiliser. Leur univers à eux, les sans-foi, est-il si parfait que cela ?

Il existe deux versions de la mort de Judas (Mt, 27, 3-9 - mort par pendaison, après avoir rendu les trente pièces d'argent à ses commanditaires - et Ac, 1, 18 - mort par éventration, après avoir acheté un champ avec les trente deniers). Cela est un détail. Judas illustre, remords ou pas, un trajet qui finit par la mort ... soit l'exact contraire du projet proposé par Jésus.

Mais ceci n'est pas le plus important.

Au cours du dernier repas, Jésus annonce qu'il existe, parmi ceux qui sont là, un traître. La question que tous se posent alors est : qui cela peut-il être ? On peut imaginer les soupçons qui ont dû envahir les convives du repas. Jésus ne laissera pas longtemps durer le suspense.

Celui qui va me trahir est celui qui mettra la main au plat en même temps que moi ... Eux ne comprennent pas. Judas, oui. Pour les autres convives, il n'y a qu'une explication possible au fait que Judas quitte la table : le maître l'a envoyé faire quelques courses : n'est-il pas l'économe du groupe ?

Il se passe, en ce moment précis, quelque chose d'unique qui ne concerne que Jésus et Judas.

Je retiens deux choses.

D'abord, une parole de Jésus à Judas : " ce que tu as à faire, fais le vite ". L'heure est venue et c'est Jésus qui enclenche le processus irréversible. A la fois, cela témoigne que Jésus est pleinement conscient de ce qui l'attend, mais aussi qu'il y consent. Il provoque même l'événement. Jésus ne subit pas son destin, il en est le maître.

Ensuite, et cela est très perceptible dans l'évangile de Jean, une fois Judas parti, Jésus se sent libéré de quelque chose. Il parle alors en toute liberté à ses disciples rassemblés et leur livre son testament spirituel (Jn, 13, 31 à 17, 25). Il ne  faut pas mésestimer ces pages : Jean était un témoin oculaire et il était un de ceux qui comprenaient le mieux Jésus. Jésus a-t-il réellement prononcé ces paroles ? On ne le saura jamais. Ecrites par Jean, elles sont un témoignage puissant. Il y est question du commandement de l'amour, du chemin qui mène au Père, de l'Esprit saint, d'une vigne et de ses sarments, des tourments qui attendent les disciples, de la foi.

Le lavement des pieds

Dans cette Palestine, où l'on marche avec des sandales sur des chemins caillouteux et poussiéreux, la tradition veut que l'hôte permette à ses invités de se laver les pieds. Quand l'hôte bénéficie d'un certain rang social, il délègue, pour cette tâche, des esclaves.

Jésus ne manque pas à cette règle vis-à-vis de ceux qu'il a conviés au dernier repas. Mais il va les surprendre : point d'esclave en effet ; c'est lui qui va leur laver les pieds. Et il leur dira de suivre son exemple.

Pour laver les pieds de ses disciples, Jésus dépose son vêtement. Le vêtement nous protège, nous distingue ... En déposant son vêtement, Jésus aborde chacun de ses disciples comme "mis à nu", sans protection et sur un pied de stricte égalité. Pour un chrétien, c'est ainsi qu'il convient de vivre la relation à l'autre.

L'évangile de Jean nous raconte la réaction de Pierre : pas question que tu me laves les pieds ; je ne puis admettre que toi, le maître, tu te mettes à genoux devant moi : et puis, comme toujours chez Pierre, l'impulsif ... la réaction toujours extrême : " lave moi alors tout le corps " (Jn, 12, 9). Il faut remercier l'évangéliste pour nous avoir décrit la réaction de Pierre. Nous sommes libres d'accepter ou non de nous faire laver les pieds. Nous sommes libres d'accepter cette manière que Dieu utilise pour se dire à nous. Nous sommes libres de nous faire de Dieu les images que nous voulons. Fr. Jean-Albert, à l'occasion des retraites qu'il anime pour des groupes de jeunes, leur propose le rituel du lavement des pieds. Ce n'est pas innocent. On peut accepter ou refuser. Encore faut-il savoir pourquoi. Là est le plus important. Même dans les communautés monastiques, le mandatum se heurte à des résistances. Jean Vanier, quant à lui, pousse la logique plus loin : dans ses communautés de l'Arche, où cohabitent valides et moins valides, on se lave les pieds les uns des autres, lors des célébrations qui s'y prêtent. Je trouve ce geste très beau.

Ce que propose Jean Vanier n'est que l'application de la parole de Jésus : " Si je vous ai lavé les pieds, moi le Seigneur et le Maître, vous devez aussi vous laver les pieds les uns les autres ; car c'est un exemple que je vous ai donné " (Jn, 13, 14-15). Combien sommes-nous à oser ce geste ? Quels sont nos résistances, nos préjugés, nos blocages ? D'où viennent-ils ? De nous-mêmes ou de ce qu'on nous a appris ?
                                                                                         
Le partage du pain et du vin

Drôle de dernier repas, d'après ce que l'on en sait. Déjà, il n'y a pas d'agneau, juste du pain et du vin ; le menu s'annonce frugal.

Et puis tout bascule, ce pain et ce vin veulent dire quelque chose, dans l'instant et pour après (" faites ceci en mémoire de moi ") (Lc, 22, 19).

Il n'y a pas d'agneau à immoler. Il n'y aura plus d'agneau à immoler.
Une fois pour toute, une vie est donnée ;  oui, je dis bien donnée.
Pas prise, pas capturée, mais librement donnée.

C'est parce qu'elle est donnée, consentie, assumée que cette vie va contredire  ceux qui l'ont réclamée. Les motifs de la mise à mort, tels qu'ils ont été formulés
par les scribes, les anciens et les pharisiens, mélange de propos politiques, religieux et économiques, s'effondrent face à la victime consentante. Cela est difficile à entendre, à comprendre. Mais cela a été ainsi.

Dorénavant, ceux qui voient dans cette attitude une attitude prophétique partagent le pain et le vin en mémoire. Ils ne sont pas toujours à la hauteur du Maître, mais ils tentent de s'en inspirer.

La question reste posée : face à l'injustice et aux dérives du pouvoir politique, religieux ou économique, quelle attitude prendre, quand on est une victime innocente ?


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