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vendredi 4 janvier 2013

Les menus de madame Quointen

Ma mère, qui aime anticiper, est en train de faire le tri de tout ce qui est à jeter chez elle, afin que je ne doive pas le faire, moi, le jour où.

Cela énerve mon père, pour qui rien n'est jetable, et moi-même, au moins autant, qui me sent privé de souvenirs familiaux. Elle m'avait déjà fait le coup, lors de leur déménagement en appartement, où elle avait jeté la plupart des photos de mon enfance, car il n'y aurait pas assez de place pour garder tout ça. Me demander mon avis préalablement ne lui a alors pas effleuré l'esprit.

Elle a voulu remettre cela aujourd'hui. Comme mon père ne va vraiment pas bien et qu'il faut songer à une maison de repos, pour eux, pour elle, sûrement pas pour lui tout seul, elle commence à faire le tri et à jeter ... pour que je n'aie pas à le faire. L'intention est bonne. Heureusement, j'étais là pour éviter le pire.

J'ai ainsi découvert que ma mère n'avait pas jugé bon de garder les photos de mon enfance, mais qu'elle avait conservé tous les menus des banquets familiaux (mariages, communions ... enterrements) et les faire-part qui vont avec depuis des lustres.

Dans la famille de ma mère, ils étaient au moins quarante pour ces agapes, et on imprimait des menus. Aujourd'hui, nous sommes juste cinq : mes parents, mes deux fils importés et moi. On n'imprime plus de menu.

Derrière ces menus familiaux, il y avait une cuisinière toujours la même : madame Quointen (orthographe non certifiée). Elle était la cuisinière attitrée des fêtes de famille. Ses menus se ressemblaient beaucoup. J'ai été très touché en les parcourant.

Que mangeait-on, lors des repas de famille, la mienne, il y a quarante ou cinquante ans ?

D'abord, les repas duraient longtemps, les hommes d'un côté, les femmes de l'autre. Ensuite, on ne misait pas trop sur les amuses-gueule. Il fallait se réserver pour les choses sérieuses.

Invariablement, il y avait un potage ou un consommé. Le potage était toujours une crême de cresson et le consommé, un "oxtail", un consommé à la queue de boeuf.

Il y avait toujours une entrée froide. Jamais d'huîtres, ni de homard, ni de fruits de la mer. On attendait les vacances en Bretagne pour cela. On mangeait plutôt un saumon "en bellevue", avec ses deux sauces (la sauce cocktail, avec sa pointe de whisky, et la sauce Vincent, une mayonnaise parfumée et colorée avec des herbes vertes). Moins souvent, on mangeait des filets de truite fumés (avec des betteraves rouges et une sauce au raifort). Quant à ma mère, elle proposait parfois un rôti de veau en gelée et petits pois, avec une sauce "gribiche". Des préparations que je n'ai plus jamais mangées depuis.

Avant le trou normand, une volaille s'imposait. Pour un repas de roi, une bouchée à la reine faisait souvent l'affaire. Mais attention ! Les bouchées à la reine de madame Quointen étaient exceptionnelles : le poulet fondait, la sauce était légère et crémeuse et le feuilleté feuilletait.

Le calvados (directement importé de chez mon oncle breton) faisait office de pause.

Venaient alors les choses sérieuses : soit un rôti de boeuf (rôti à point) avec sa jardinière de légumes, soit un gigot d'agneau (rosé) avec ses garnitures, soit (en fonction de la saison) un filet de biche, sauce "grand veneur", ou un rable de lièvre, sauce moutarde (mon préféré). Je n'ai jamais aimé, quant à moi, les pommes (poires) et airelles, je leur préfère les champignons des bois.

Il était temps de passer au Bourgogne et aux fromages. Le ton était monté. Les bedaines étaient dilatées. Les esprits vacillants. Les rires bien présents.

Suivait alors - horresco referens - un gâteau ! Pas un moëlleux au chocolat portion individuelle réduite. Non, un Saint Honoré ou, pire encore, un "moka". D'un bon gâteau, on disait alors, dans ma famille, qu'il devait être "glo", c'est-à-dire être saturé de crème au beurre, de crème fraîche et de rhum. Help !

Cela aurait pu être fini ... Non, les hommes passaient alors au cognac , au vieux whisky, et aux cigares, pendant que les femmes commençaient la vaisselle. Ma grand-mère, elle, aimait encore bien un dé à coudre de Chartreuse verte !

Comment ont-ils survécu? Il leur suffisait de trois jours pour se remettre sur pied.

Ils passaient alors, il est vrai, dès le lendemain, au bouillon de légumes et au poisson maigre.


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