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lundi 24 décembre 2012

Annonciation et visitation (revisitées avec un brin d'irrévérence)


Tout a commencé un beau jour,
quand un homme grand et plus lumineux que les autres,
est venu trouver, dans son humble village, une jeune fille, Marie (Lc, 1, 26-38).
Il a dit qu'il s'appelait Gabriel et qu'il travaillait pour le bon Dieu.
Rien à redire le concernant : il était bien sous tous rapports, juste un peu trop lumineux peut-être.

Le jour, où il s'est présenté chez Marie, il lui a dit : " Sois joyeuse, toi qui as la faveur de Dieu, le Seigneur est avec toi " (Lc, 1, 28). A cette époque, on savait mettre, reconnaissons-le, des formes dans les salutations. On est loin du " Salut, ça va ? On s'appelle ? ", d'aujourd'hui. Mais ce n'est pas tout, Gabriel lui dit aussi : " Sois sans crainte, Marie ",  j'ai une grande nouvelle à t'annoncer (Lc, 1, 30).  Sois joyeuse et sois sans crainte. Cela a dû rassurer Marie ; car elle ne savait pas trop ce qu'il lui arrivait. Quand nous nous rendons prêts à entendre la voix de Dieu, les premiers mots que nous entendons sont pourtant ceux-là: " sois joyeux et sois sans crainte ". La parole de Dieu ne peut agir en nous que si nous nous libérons de nos craintes, de nos appréhensions, de nos réticences, de nos suffisances. Et la parole de Dieu est faite pour la joie. Qu'il est pénible d'entendre certaines voix sentencieuses : " Voilà le fond de toute religion : obéir, se soumettre, renoncer à soi, à l'intelligence, à la raison, se contenter d'être la chose de Dieu " (M. Onfray). Michel Onfray est tellement suffisant qu'il ne peut pas comprendre grand chose au fait religieux (au point de considérer les hommes et femmes religieux comme dépourvus d'intelligence et de raison). Réjouis-toi et sois sans crainte. Il ne s'agissait pas, pour Marie, de se soumettre et de renoncer à elle-même. Il s'agissait de faire la découverte - ce qui nous arrive à tous - de son destin, de ce qui allait être sa raison d'être et, par conséquent, le chemin de son accomplissement personnel. Marie, par cette découverte, sera toujours à sa juste place, avec les moments heureux et malheureux que tout destin comporte. Cette découverte, je la souhaite à chacun.

Tu as été choisie pour être la mère du sauveur, un enfant dont le rôle sera exceptionnel, lui explique Gabriel. Dieu lui donnera le trône de David (Lc, 1, 30-31), rien de moins. Imaginez une jeune villageoise à qui on vient annoncer pareille nouvelle. Elle a dû être interloquée et surtout ne pas bien comprendre. Si elle avait été effrontée, Marie aurait ri au nez du lumineux Gabriel. Marie, qui ne manque ni d'intelligence, ni de raison, se laisse toucher par cette nouvelle inattendue. Les sceptiques mettront sa réponse sur le compte de la naïveté, à défaut d'être capables d'imaginer une autre explication relevant, par exemple, de l'expérience intérieure.

Etre mère, Marie le veut bien, mais pour cela il faut un père, même s' il s'agit d'être la mère d'un (du !) sauveur. Marie, en soulevant cette question (Lc, 1, 34), montre clairement qu'elle a parfaitement les pieds sur terre et ne croit pas aux miracles. La puissance du Très Haut couvrira Marie de son aile, ou de son ombre, selon les traductions (ce qui est peut-être la manière de faire des anges) (Lc, 1, 35). Depuis, on se demande un peu qui est vraiment le père de Jésus (Dieu "dit le Père", Gabriel ou Joseph). Joseph est là pour assurer la généalogie selon David ; mais, alors, pour cela, il faudrait qu'il soit le père biologique de Jésus ; or, rien, dans le récit, ne le confirme ; c'est lui cependant qui accueille Marie, chez lui, enceinte d'un enfant qui n'est peut-être pas de lui. Bref, l'histoire n'est pas claire. Mais, quand on a l'âme d'un père, on devient naturellement le père d'enfants qui ne sont pas nécessairement de soi. J'en témoigne.

La place donnée à la mère, et le peu de cas réservé au père, m'ont toujours frappé dans cette histoire. Comme si le destin du fils dépendait exclusivement de l'attitude première de la mère : "être la servante du Seigneur". D'ailleurs de Joseph, on ne parle guère dans les évangiles : après les récits de l'enfance, on l'oublie totalement. Dans cette aventure qui se noue au coeur d'une femme, les hommes n'ont pas le beau rôle.

Voilà donc la jeune Marie enceinte de Dieu sait qui - si j'ose dire - et néanmoins servante du Seigneur. Tout  commence ainsi, selon l'évangéliste Luc. Jésus serait donc né d'un père inconnu ou à tout le moins indéterminé. Au moment où l'on débat en France du mariage civil pour tous et où des bastions catholiques frémissent, et éructent leur haine, à l'idée d'un mariage entre deux hommes (ou deux femmes) et à la possibillité d'être père ou mère, dans cet état (dans le bien de l'enfant, cela va de soi), il est réjouissant de constater, comme l'a fait François Reynaert, dans le Nouvel Observateur, que Jésus a au moins deux papas et que, si Marie a enfanté Jésus, en étant restée vierge, cela ressemble fort à une procréation assistée ...

http://tempsreel.nouvelobs.com/mariage-gay-lesbienne/20121130.OBS1055/cathos-de-mariage.html

Intervient ensuite, dans le récit, Elisabeth, la cousine de Marie. A son âge, on n'enfante plus ; elle est ménopausée depuis longtemps. Or, voilà qu'elle aussi va enfanter un fils. Bref, un autre enfant pas possible ! Pas n'importe qui : Jean, celui qu'on appellera, selon la tradition, "le Baptiste", parce qu'il a invité à la conversion et l'a symbolisée par une plongée dans les eaux du Jourdain, ce fleuve improbable qui finit dans une mer morte ; comme s'il s'agissait de laisser, en agissant ainsi, la mort s'échapper pour ne retenir que le vivant.  Décidément, cette famille compte d'étranges rejetons.

Elisabeth appartient, dans la Bible, à une longue lignée de femmes a priori stériles et qui enfantent quand même : Sarah, la mère d'Isaac (Gn, 18, 10-15) ; Anne, la mère de Samuel (1 Sm, 1, 9-18),  par exemple. Qu'il en soit ainsi doit vouloir dire quelque chose. La stérilité n'est pas une fatalité pour Dieu ; elle est au contraire le terrain où surgissent les plus grandes figures. Rien n'est jamais stérile sous le regard de Dieu. La fécondité a bien des visages.

Ceci dit -  mais ce sera pour une autre fois - il est fort intéressant de comparer les situations et les attitudes de Sarah, Anne et Marie.

J'ai réalisé, pour ma part, il y a peu, qu'il y avait eu deux annonciations : une pour Jean (Lc, 1, 5-25) et une pour Jésus (Lc, 1, 26-38)  et qu'il n'était pas inintéressant non plus de les comparer.

Celle de Jean a eu lieu dans le Temple, un endroit prestigieux, et a donné lieu, de la part de Zacharie, le futur père de Jean, prêtre du Temple, destinataire de l'annonciation, à un refus que je qualifierais de rationnel : Zacharie ne peut s'ouvrir à la promesse d'un fils impossible. Lui et Elisabeth sont bien trop âgés pour procréer et élever un enfant. C'est oublier un peu vite que rien n'est impossible à Dieu. Le manque de foi de Zacharie lui vaudra de devenir muet. Celui qui était chargé de proclamer au Temple la grandeur de Dieu n'a plus rien à proclamer au peuple. Il est devenu sans voix. Cela a dû être une expérience difficile : ne plus pouvoir parler, quand on  était porte-parole, se trouver parmi les "sans voix", être invité à rentrer en soi-même et ne plus dialoguer qu'avec soi-même, au fond de son être. Zacharie ne sera libéré de cette entrave à la communicabilité qu'au jour de la circoncision de Jean, quand il écrira sur une tablette, à la stupeur de tous les membres de la famille rassemblés : il ne s'appellera pas Zacharie (comme moi, son père), mais Jean (Lc, 1, 63 et sv.). Ceci est très fort d'un point de vue symbolique : le fils de Zacharie ne sera pas le fils "de son père", comme c'était l'usage en ce temps Il vivra son existence propre et mérite un nom correspondant à celle-ci.

L'annonciation de Jésus, elle, se passe, dans un endroit perdu, un hameau obscur. Marie n'oppose aucune objection rationnelle. Elle découvre et accueille en faisant confiance. Elle laisse le plan de Dieu se réaliser ; "s'incarner", dirais-je.

Les deux cousines, Marie et Elisabeth, passeront ensemble trois mois, pendant lesquels on imagine qu'elles ont tricoté de la layette et parlé de sujets propres aux femmes, d'autant que Zacharie était réduit au silence (Lc, 1, 56). Leur rencontre - Marie était partie à pied rejoindre Elisabeth, laissant Joseph à ses questions - donne lieu à un beau passage. Avant même l'arrivée de Marie, l'enfant d'Elizabeth a tressailli dans son ventre (bondi d'allégresse dans son sein) ( Lc, 1, 44) ; il faut être Luc, le médecin, pour parler ainsi et être une femme pour le comprendre vraiment.

Elizabeth accueille Marie en ces termes : " Bienheureuse, celle qui a cru " (Lc, 1, 45). Décidément, les salutations en ce temps-là voulaient vraiment dire quelque chose. Marie répondra à sa cousine par le Magnificat, une prière du grand merci, que l'on chante tous les jours dans les monastères (Lc, 1, 46-55).

Mon âme exalte le Seigneur, 
exulte mon esprit en Dieu mon sauveur.
Il s'est penché sur son humble servante ;
désormais tous les âges me diront bienheureuse.
Le Puissant fit pour des merveilles ;
Saint est son nom !
Son amour s'étend d'âge en âge
sur ceux qui le craignent.
Déployant la force de son bras,
il disperse les superbes.
Il renverse les puissants de leurs trônes,
il élève les humbles.
Il comble de bien les affamés, 
renvoie les riches les mains vides.
Il relève Israël, son serviteur,
Il se souvient de son amour.
De la promesse faite à nos pères, 
en faveur d'Abraham et de sa race à jamais.

Jean-Sébastien Bach a réussi à rendre ce texte, très à gauche, dans le fond, accessible aux plus mécréants. Ce n'est pas son moindre mérite.

Extrait :
















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