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mercredi 13 juin 2012

Bernard Besret

Mon existence a été jalonnée de rencontres avec des gens que généralement personne ne connaît et qui m'ont pourtant marqué.

Je voudrais évoquer aujourd'hui la personnalité de Jean-Claude Besret (né en 1935), devenu dom Bernard Besret ; il a été le prieur de l'abbaye de Boquen, où il était entré à l'âge de 18 ans.




Je devais avoir 17 ans et déjà je ne pouvais me trouver en un lieu quelconque sans chercher l'abbaye ou le monastère le plus proche. Nous étions en vacances, avec mes parents, dans ce coin de Bretagne auquel nous lie à la fois des liens familiaux et une longue tradition.

J'avais donc demandé à mes parents d'aller un jour à l'abbaye de Boquen. Une abbaye cistercienne à l'intérieur des terres.






Nous fûmes tous les trois surpris, moi, autant que mes parents. Il y régnait une ambiance très "mai 68". Nous étions en 1972. Le concile Vatican II, à l'initiative du Pape jean XXIII, s'était ouvert quelques années plus tôt, suscitant un fol espoir. Des jeunes et moins jeunes squattaient l'église et ses alentours participant à des groupes de paroles où l'on ne refaisait pas le monde ... mais l'Eglise. Un spectacle, un événement, une célébration, je ne sais trop, était prévu, le soir, dans l'église du monastère et certains s'affairaient à le préparer. On ne voyait guère les moines ou alors ils étaient incognitos. Le lieu semblait comme investi par un feu nouveau. Un esprit de pentecôte. 

On a souvent dit que Boquen, à cette époque, a été comme un laboratoire. 

Bernard Besret plaidait pour un primat du cheminement individuel sur la discipline collective ; il tendait à substituer aux règles monastiques classiques, comme la clôture, une ouverture plus grande sur le monde. Il voulait mettre fin à cette idée que le moine se "retire du monde" pour se donner à Dieu. Il voulait que le monastère vive un peu à l'écart du monde mais en étroite proximité avec lui. Il voulait explorer d'autres manières de formuler et de proclamer la foi, plus compréhensibles, plus actuelles, d'autres manières de célébrer la liturgie. La hiérarchie ecclésiale l'attendait au tournant, les milieux catholiques traditionalistes aussi. On lui a reproché de ne pas assez s'occuper des dogmes essentiels de la foi chrétienne. Son intuition était belle, peut-être était-elle trop audacieuse, ou trop radicale, ou prématurée ?

En 1974, Bernard, désavoué, quitte l'abbaye de Boquen pour mener une vie dans le monde. Il travaillera notamment à la Cité des sciences de la Villette, comme conseiller, et est depuis devenu un adepte du taoïsme. Il a ouvert une auberge taoïste en Chine. En témoigne un livre, A hauteur des nuages - Chroniques de ma montagne taoïste (Albin Michel, 2011).




Bref, un parcours mouvementé, voire chaotique, qui n'est pas pour me déplaire. Ce sont les plus riches. Je préférerai toujours les lignes brisées aux lignes droites et encore plus aux lignes trop floues ou courbes.

Après son départ de Boquen, il ne rangea pas sa plume dans sa poche, c'est le moins qu'on puisse dire.

En 1991, il publie un livre Confiteor - De la contestation à la sérénité, chez Albin Michel.



En 1993, il publie une Lettre ouverte au Pape qui veut nous asséner la vérité dans toute sa splendeur, chez Albin Michel. Le Pape était Jean-Paul II.



En 1996, un autre ouvrage intitulé Du bon usage de la vie, toujours chez Albin Michel, réédité en 2006 en livre de poche.


J'ai beaucoup appris en lisant ses livres. Si je ne l'avais pas croisé, comme d'autres, qui ont été comme mes guides, sans doute ne serais-je pas aujourd'hui animé du même désir de donner, dans ma vie, une place à Dieu,  plus particulièrement sur les pas de Jésus.

Dans son livre Confiteor, il aime à citer un de ses guides à lui, Don Cippriano Vagaggini, son professeur de dogmatique. 

J'aime beaucoup le passage suivant : " le christianisme n'est pas avant tout un corps de doctrines auquel il conviendrait d'adhérer intellectuellement. Ce n'est donc pas une dogmatique ... L'objectif du christianisme n'est pas de nous enseigner ce qu'il faut dire, ce qu'il faut croire, ce qu'il faut penser. Sa préoccupation première n'est pas de faire de nous des bien-pensants. Jésus lui-même n'a laissé les traces que d'un enseignement oral, très éloigné du style des cours universitaires. Il n'était pas ce que l'on appellerait aujourd'hui un théologien. Il ne parlait jamais ex cathedra.

Son message ne se caractérise pas non plus comme une leçon de morale. Jésus, tel que nous le décrivent les évangiles, se montrait fort peu préoccupé des justes, mais beaucoup plus des pécheurs. Qu'il s'agisse de l'enfant prodigue, du pharisien et du publicain, de la pécheresse qui lui parfumait les pieds ou de celle qui allait être lapidée, c'est toujours la même anti-morale qu'il fait prévaloir : non pas le jugement qui emprisonne définitivement dans le passé, selon le code de l'ordre établi, mais bien le pari sur l'avenir de celui qui a toujours en lui-même la capacité de se transfigurer par un changement d'esprit, un retournement, une metanoia. 

L'évangile instituait-il alors une nouvelle religion ? Oui, dans un certain sens, dans la mesure où, par son mode d'être, Jésus a changé la conception que nous pouvions avoir de nos relations avec Dieu, mais certainement pas si l'on entend par religion l'introduction de nouvelles pratiques, l'institution de nouveaux rites, la prescription de dévotions ou l'élaboration d'une législation sacrée. "

J'ai aussi été beaucoup frappé par ce que Bernard Besret dit de l'ascèse. Il faut " interpréter l'ascèse non pas en termes de mutilation et de mort, mais en termes de croissance et de vie ". Il évoque le musicien qui fait ses gammes et s'astreint à pratiquer son instrument quotidiennement pour pouvoir offrir le meilleur. Il évoque le danseur qui doit passer par de longues heures de travail à la barre pour nous éblouir ensuite.

J'aime beaucoup quand, à propos de l'ascèse toujours, dans un contexte plus spirituel, il en souligne la finalité : " réaliser l'unité en soi-même et l'unité avec l' Un ", le terme moine (issu de monos, en grec) ne veut rien dire d'autre. Il faut aussi une ascèse pour atteindre ce but. Il fait alors quelques propositions simples pour notre temps et finalement pour tous : 
- il ne peut y avoir d'éveil, de conscience en profondeur de soi et du monde, sans un bon sommeil. Alors que tant de gens prennent des somnifères ou des inducteurs de sommeil, qui les laissent le lendemain matin toujours fatigués, une des premières tâches d'une ascèse pour notre temps serait de retrouver les conditions optimales d'un sommeil réparateur et régénérateur. Ce thème de l'éveil est universel : de Bouddha, l'éveillé, à Jésus ( "Veillez et prier "). On ne peut pas veiller (être éveillé) en étant fatigué ;
- il évoque aussi le rapport à la nourriture et les vertus du jeûne, non pas en tant que privation, mais comme l'expérience d'un rapport différent à la nourriture, d'un repos du système digestif comparable au sommeil ;
- il évoque les gestes. Il invite à apprendre à faire de chaque geste le signe efficace d'une conscience éveillée : " Tout geste insignifiant ou inutile n'est que gesticulation et fait partie de l'agitation qui dégrade au lieu de parfaire " ;
- il évoque le silence : si on veut pouvoir entendre l'autre, le monde et encore plus le Tout-Autre, il faut apprendre à se taire ;
- il aborde, toujours dans le même registre, brièvement la sexualité, au sens large (je veux dire non réduite à la génitalité), pour une fois encore insister sur le sens, l'optimisation de quelque chose qui nous constitue. Il relève que le peuple juif antique devait procréer, pour sa survie, pour ne pas se faire absorber, et bannissait dès lors toute sexualité qui n'aurait pas la procréation pour finalité. Il souligne l'enfermement auquel a conduit la dualité chair/esprit, inspirée de la philosophie grecque, qui a engendré, dans l'Eglise, plus de condamnations que d'optimisations. Il évoque le tantrisme qui accorde une place primordiale à certaines formes de sexualité dans la recherche de l'union avec le divin. On ne peut pas dire que ses intuitions aient été suivies de beaucoup d'effet dans les hautes sphères vaticanes !















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