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jeudi 17 mai 2012

De la distraction


Les homélies de frère François, à Wavreumont, sont des modèles du genre. Il est vain de vouloir y ajouter quoi que ce soit, commentaire, critique ou prolongement.

Je vous offre celle-ci en cadeau : 

Il y a peu, un ami de la communauté, un saint prêtre à qui nous pensions ne plus rien pouvoir apprendre, a demandé par personne interposée que l'un ou l'autre d'entre nous rédige pour lui quelques lignes sur les distractions dans la prière. La personne interposée s'est adressée à moi, ce qui suppose un certain flair. Elle a dû deviner que je pourrais parler d'expérience. En tout cas, elle a frappé à la bonne porte : je dois bien avouer que je suis particulièrement compétent dans le domaine de la distraction.



Entendons-nous bien. Il y a dans notre monastère, comme dans tous les groupes humains, des distraits professionnels. Je ne me suis jamais mesuré à eux, je pratique la distraction en amateur. Mais quand il s'agit plus précisément de l'art d'être distrait pendant la prière, là, je peux dire en toute simplicité que je suis devenu un spécialiste. Pour cet ami prêtre qui demandait quelques lignes, j'ai aussitôt rédigé quatre pages.



Si je vous en parle ce matin, c'est parce que j'ai fait allusion, dans ces notes sur les distractions, à l'évangile de ce jour. Il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis. Dans cette phrase, le mot donner est une traduction trop précise, trop "active" d'un verbe qui veut simplement dire poser, mettre, déposer. Donner, c'est encore imposer, s'imposer. La traduction œcuménique propose : se dessaisir. C'est intéressant, mais cela risque d'insister exagérément sur un aspect négatif ou mortifiant de renoncement. Le verbe de l'évangile est plus simple que cela : c'est poser, déposer, mettre à la disposition.



Or il me semble que, pour l'essentiel, la prière est justement cela : c'est se mettre à la disposition de Dieu. Dans la prière, il y a notre part et la part de l'Esprit. C'est l'Esprit qui fait le plus important. Notre part, pour l'essentiel, c'est une présence et c'est du temps. C'est d'abord être là, physiquement présent, ce qui est toujours à portée de notre volonté. Notre esprit est souvent ailleurs et, là-dessus, nous avons finalement peu de prises. Mais être physiquement présent, cela ne dépend que de nous. Et c'est être là pour un temps, plus ou moins long, un temps où nous nous interdisons d'être ailleurs. Le reste (presque tout le reste) appartient à Dieu.



Dans la prière, nous nous mettons à la disposition de Dieu, pour qu'il nous modèle à sa guise. Et il utilise alors tout ce que nous lui offrons, dans cet acte simple d'abandon et de confiance, pour faire de nous ce qu'il veut, peu à peu. A l'occasion, il se sert même de nos distractions pour nous donner des idées, orienter nos démarches, canaliser nos énergies.



Cela ne veut pas dire que nous devons nous complaire dans nos distractions, partir de l'idée que nous sommes définitivement dispensés de l'effort de "penser à Dieu en l'aimant", ce qui est pour Charles de Foucauld la définition de la prière. Si nous prenons conscience d'être distraits, il nous appartient de revenir à Dieu (même si cela ne dure que quelques instants...) et, comme on nous l'apprenait au séminaire, chaque retour à la prière est un acte d'amour. Mais si nos distractions, nos soucis, notre fatigue nous empêchent de fixer sur Dieu notre pensée, nous pouvons être certains qu'il fait des merveilles avec le peu que nous lui offrons.



Pour peu que nous nous mettions effectivement à sa disposition. Que nous nous mettions en prière par amour pour lui. Car ce que Jésus dit de nos amis vaut pour Dieu : Il n'y a pas de plus grand amour que de se mettre à la portée de celui qu'on aime.


Homélie pour le 6ème dimanche de Pâques 2012.

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