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dimanche 11 mars 2012

Le temple et les idoles

Comme souvent, je vais voguer sur les textes de la liturgie de ce week-end et m’arrêter à quelques mots.

Le livre de l’Exode, en son passage lu aujourd’hui (Ex, 20, 1-17) nous révèle une facette de Dieu qui est peut-être la plus essentielle : “Je suis le Seigneur ton Dieu, qui t’ai fait sortir du pays d’Egypte, de la maison d’esclavage”. Ce que Dieu dit au peuple d’Israël, il nous le dit  à nous aussi. Il y aurait donc aussi, en nous, dans nos vies, une maison d’esclavage dont il veut nous délivrer. Réfléchissons un instant : ne sommes-nous pas esclaves de bien des choses ? Quand devenons-nous esclaves ? Nous devenons esclaves, quand, malgré notre bonne volonté et nos efforts, quelque chose d’extérieur à nous nous asservit, auquel nous nous soumettons, dont ne pouvons plus nous passer et qui inverse les priorités. Cela peut être l’alcool, la drogue, le sexe, la mode, le travail, internet, l’addiction aux informations, le besoin viscéral d’être toujours entouré pour ne pas se sentir seul, et même parfois l’habitude, le besoin de répéter tout le temps les mêmes choses pour se sentir bien. Face à ces comportements, qui tournent bien souvent en rond, Dieu nous dit qu’il peut, qu’il veut, nous en faire sortir.  “Tu ne feras aucune idole”, dit le texte un peu plus loin (Ex. , 20, 4). Nous n’avons pas toujours assez conscience,  à vrai dire, de nos idoles.

Dans la lettre de Paul (Cor. , 1, 22-25), je retiens ceci : “alors que les juifs réclament les signes du Messie, et que le monde grec réclame une sagesse, nous nous proclamons un Messie crucifié, scandale pour les juifs, folie pour les peuples païens …”. Je dois être un peu juif et un peu grec. Oui, dans ma vie, j’ai souvent attendu “un signe”, qui n’est jamais venu ou que je n’ai pas été capable de voir.  Je ne dois pas être le seul. Mon parcours professionnel, m’a plutôt conduit à interroger la raison. S’agissait-il de sagesse ? Il s’agissait en tout cas d’agir selon l’intellect. Je me pose la question : suis-je prêt aujourd’hui, sans signe, ni sagesse, à proclamer un Messie crucifié qui est scandale pour les uns et folie pour les autres ? L'attente de signes ou l'espoir de trouver uner réponse dans la sage raison ne peuvent-ils pas aussi être des idoles ? Quoi qu'il en soit, le chemin est long et ardu pour se défaire de ses idoles.

Le passage de l’évangile de Jean (Jn, 2, 13-22) nous rappelle cet épisode célèbre de Jésus chassant les marchands du temple. On le présente parfois comme un des rares coups de colère de Jésus. L’imagerie de mon livre d’Histoire sainte, quand j’étais écolier, se situait dans cette veine. Les artistes du passé n’ont pas été en reste décrivant toujours une scène tourmentée autour de Jésus, le fouet à la main.



El Greco (1541 ? - 1614)


Van Hemessen (1500-1566)



Jacob Jordaens (1593-1678)



Leandro Bassano (1557-1622)



J’emprunterai partiellement au père R. Devillers, O.P., qui officiait, ce matin, chez les bénédictines de Liège, ce qui suit.

L’ordre du temple allait de soi pour tous les juifs: les sacrifices d’animaux (d’où les vendeurs de veau, d’agneau, de brebis, de pigeons), l’impôt à verser au Temple dans la monnaie propre du temple (d’où les changeurs). C’était l’ordre établi et certains en profitaient plus que d’autres, Caïphe, le grand prêtre en premier. Personne ne s’en offusquait, tant cela allait de soi. Ce fut même le cas de Jésus jusqu’au jour décrit par le récit de ce jour.

Par quel angle, Jésus défie-t-il ici l’ordre établi ? Aucun discours sur le pouvoir exorbitant des hommes du temple, aucun discours sur les marchands voleurs et les changeurs malhonnêtes. Ce n’est pas comme cela que Jésus va remettre en cause cet état de fait. Ce que Jésus trouve inacceptable, c’est que, dans la maison de Dieu, il soit nécessaire de monnayer les faveurs de Dieu. Il va dénoncer la religion juive de son temps. Il ne faut pas s’étonner que les gens du Temple aient cherché sa mort après cela.

Pour avoir les faveurs de Dieu, il faut, en ce temps-là, pouvoir offrir des sacrifices. Plus on est riche et plus les sacrifices sont fatalement grandioses et plus les faveurs promises seront à la mesure du sacrifice. Quant à ceux qui sont pauvres et dont le sacrifice est modeste, voire impossible, parce qu’ils n’ont même pas, ou plus, les moyens d’acheter un animal pur pour l’offrande sacrificielle, on ne trouve pas anormal qu’ils soient laissés pour compte dans la maison de Dieu. 

Voilà ce que Jésus va dénoncer, avec une certaine violence. Il ne peut accepter que les hommes soient inégaux devant son Père. Pour Jésus, on n’achète pas les faveurs de Dieu. Ce serait le trahir. Cela annonce, bien avant l’heure, la question du trafic des indulgences, chère à Luther.

Voilà pourquoi Jésus s’emporte. Je ne crois pas vraiment qu’il ait fouetté les marchands et les agents de change, les animaux peut-être, ils ont l’habitude qu’on leur tape dessus. Il fallait bien donner un peu d’éclat à son action. Il est vrai, le piquet de grève n’existait pas encore : j’imagine déjà Jésus et ses disciples, en piquet, avec des braseros et des pains saucisses, interdisant l’entrée du temple.

Petite parenthèse : en tant qu’ancien fiscaliste, je dois reconnaître que Caïphe avait trouvé une excellente manière de faire payer plus les riches que les pauvres. Quand je vois les débats d’aujourd’hui à propos de la progressivité de l’impôt sur les revenus ou de l’impôt sur la fortune …

Le père Devillers a relevé une chose intéressante : le récit des marchands du temple, chez Matthieu, Marc et Luc, est plus court que chez Jean. Jean (dernier évangile écrit) ajoute quelque chose.

Il y a, chez  Jean, cette réponse totalement incompréhensible de Jésus. Vous qui voulez un signe, le voici : “Détruisez ce temple et je le reconstruirai en trois jours” (Jn, 2, 19). Je ne sais pas si Jésus a réellement dit cela, mais Jean le lui fait dire.  Comme s’il voulait nous dire ceci : moi, sur le fait, je n’ai pas compris grand chose et il m’a fallu quarante ans ou cinquante ans pour donner du sens aux événements auxquels j’ai assisté.

Rappelez-vous, il s’agit de la maison de Dieu, de la conception qu’on en a. Pour Jean, la manière dont Jésus a vécu sa mort, nous donne le sens : c’est en s’offrant, et non en faisant des sacrifices, qu’on appartient à la maison de Dieu. Le temple de Dieu n’est pas fait de pierres, il est fait de coeurs et de corps. Il s'agit donc bien de donner un sens. C’est en ce temple que bat le coeur du monde et non là où on veut trop souvent nous convaincre qu’il se trouve, aujourd'hui encore plus qu'hier.

J’ai aussi relevé une particularité : Jean situe cet épisode au début de son évangile (2, 13-22). Il  vient bien plus tard dans les récits de Mathieu (21, 12-13), de Marc (11, 15-19) et de Luc (19, 45-48). Je ne suis pas en mesure de dire si cela a une signification particulière.




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