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jeudi 23 février 2012

Bob et Enzo, les "pneumatikoi"


Qu’est ce qu’un “pneumatikos” ? Dans la religion orthodoxe, on désigne par ce nom quelques rares individus qui font circuler l’esprit autour d’eux. Parce que leur coeur est ouvert au souffle divin, ils insufflent eux-mêmes un peu de ce souffle, sans laquelle la vie-même n’existe pas.

Je voudrais évoquer deux d’entre eux que l’actualité récente a rappelés à ma mémoire.

BOB WILSON

Bob Wilson est un génial metteur en scène au théâtre et à l’opéra. J’ai lu, ce matin, qu’il remontait son oeuvre culte des années 1970, Einstein on the beach (à l’opéra de Montpellier).






Je ne suis pas un spécialiste de Bob Wilson, mais je sais, pour l’avoir vu, que ses mises en scène donnent à la beauté formelle (une beauté travaillée, épurée) et au temps la priorité, jusqu’à utiliser une certaine lenteur.

Dans une interview qu’il a donnée au magazine Têtu (mars 2012), il dit ceci : “ Je crois que le corps réagit plus vite que la pensée. Ce qui est valable pour le spectateur autant que pour l’acteur”.  L’explication de cette pensée, qui fonde pour l’artiste un critère de mise en scène, repose sur ceci : “La plus grande expérience que j’aie eue, c’était en 1969, quand j ‘ai rencontré le psychiâtre Daniel Stem. Il avait filmé deux cents mères et leurs bébés. Dès que le bébé pleurait, la mère le prenait dans ses bras et le réconfortait. Puis, il a projeté le film au ralenti. On pouvait voir une image à la seconde. Et bien, dans 8 cas sur 10, la réaction de la mère était violente et le bébé effrayé ! Trois ou quatre images plus tard, cela changeait, puis changeait encore. Les mères étaient très choquées ! Toutes disaient : mais, j’aime mon enfant ! Sauf qu’en une fraction de secondes, plusieurs réactions s’enchaînaient. C’est très complexe. Alors, quand Roméo dit à Juliette qu’il l’aime, ce n’est pas si simple …”.

Ceci me touche beaucoup. Cela rejoint le travail de connaissance de moi-même que je mène en profondeur depuis quelque temps.

Pour l’anecdote, j’ai croisé Bob Wilson, dans des circonstances inattendues.  Avec P., nous avions décidé d’un week-end à Amsterdam.  Toujours à l’affût de ce que personne ne va voir, il avait repéré une expo de peintres chinois contemporains (et dire qu’il y avait Rembrandt et le Rijksmuseum !). Nous avons longtemps cherché le lieu de l’expo. A l’adresse indiquée, il n’y avait aucune galerie ! Audacieux, comme je ne suis pas, P. a sonné au numéro dit. L’expo se tenait en fait dans une maison privée, occupée temporairement, en l’absence du propriétaire, par Bob Wilson. Il nous a accueillis de manière très urbaine, nous consacrant beaucoup de son temps. Le oeuvres exposées ne m’inspiraient pas grand chose, mais je tentais de ramasser mon anglais pour ne pas avoir l’air trop bête face à ce grand monsieur.


ENZO BIANCHI

Enzo Bianchi est un drôle de petit bonhomme. Sous sa barbe, il cache bien des savoirs et bien des expériences.





Il est un théologien remarquable, un passeur entre les religions et un grand connaisseur de la voie monastique. Pourtant, bien que prieur de la Communauté de Bosé, il est toujours  resté un laïc, je veux dire par là qu’il n’est pas prêtre consacré.

Ses écrits me rejoignent. Ils sont à la fois documentés et inspirés. Ils puisent dans la tradition, mais la mettent en même temps au défi de l’avenir, avec des pistes très concrètes de réflexion.

Il en est ainsi particulièrement dans l’ouvrage que je viens de lire : “Si tu savais le don de Dieu – La vie religieuse dans l’Eglise” (éd. Lessius, Bruxelles, 2001).

De cet ouvrage dense, je retiens deux choses essentielles.

La première : la chasteté, la pauvreté et l’obéissance bien comprises ne sont pas une caractéristique de la vie religieuse. Tout croyant, tout être humain en fait, est appelé à purifier ses  trois libidos : la libido amandi, la libido possidendi, la libido dominandi. Ne pas aimer l’autre pour la satisfaction que l’on peut en retirer (la chasteté); ne pas posséder des biens au point d’en être satisfait et d’ignorer ceux qui n’en ont pas (la pauvreté); ne pas vivre les relations avec les autres, sans accueillir leurs faiblesses, leurs errements, leurs insuffisances, en croyant pouvoir leur être supérieur (l’obéissance).

Il y aurait beaucoup d’autres choses à dire sur ces trois défis !

La seconde chose que je retiens est celle-ci : quand des hommes ou des femmes vivent, quelle que soit leur religion ou leur croyance, l’expérience du monachisme (soit le choix du célibat et de la vie en communauté, le premier choix permettant le second), ils se retrouvent aisément, ils ont les mêmes choses à partager. Qu’il s’agisse de difficultés ou de découvertes, ils se comprennent tout de suite. Prier ensemble ne fait alors aucun problème. Mieux même chacun enrichit alors l’autre de sa propre tradition de prière.

La communauté monastique de Bosé (près de Turin), dont Enzo Bianchi est le prieur est un appel à la communion : la communauté est mixte et oecuménique. La psalmodie s’inspire régulièrement de la tradition juive.

Le site du monastère est exceptionnel : un vieux village restauré avec la chaîne des Alpes en arrière-plan. Ici, on donne beaucoup de place aux enfants, aux visiteurs, aux croyants d’autres traditions. J’y ai passé une journée avec fr. Bernard, des familles et des jeunes. Les chants de l’office de midi ont longtemps résonné en moi.


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