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dimanche 4 décembre 2011

Des hommes et des femmes dans la rue

La Belgique se réveille avec un gouvernement ... après 538 jours de négociations, de psychodrames et de conflits idéologiques. Que représente ce gouvernement ?

Vu "la crise", on ne pouvait sans doute aller que vers un gouvernement  d'union (plus ou moins) nationale. Je dis bien d'union : c'est-à-dire une union de sensibilités politiques différentes. Union ou compromis, on vérifiera à l'usure. Les nationalistes flamands, ayant paralysé tout effort pendant des mois, se sont exclus d'eux-mêmes. Leur avenir politique est maintenant le suivant : jouer sur le mécontentement en Flandre pour encore se renforcer, dès les prochaines élections communales. C'est un excellent pari : car, demain, il n'y aura bientôt plus que des mécontents dans ce pays. La NVA pourra ainsi toujours affirmer qu'elle détenait la solution à tous les problèmes, mais qu'on n'en a pas voulu. Sans résultat tangible à son actif, elle arrivera ainsi à encore augmenter le capital de sympathie dont elle bénéficie auprès de l'électorat flamand. Je l'ai dit, c'est un excellent pari, mais un pari fort médiocre.

Le nouveau gouvernement issu de ces 538 jours de négociations a déjà perdu beaucoup de temps, il lui reste les deux tiers du temps de la législature pour travailler efficacement et la fin de celle-ci sera bien entendu déjà axée sur les élections suivantes. Il faudra faire vite, plus vite en tout cas que pendant les négociations. Or, ce gouvernement semble bien fragile, divisé par des courants idéologiques antagonistes. Après avoir consacré des jours et des jours à une réforme institutionnelle de l'Etat, à la demande de deux partis flamands, la néfaste NVA et le pâle CD&V - qui en avaient fait un préalable à toute autre discussion - le volet socio-économique a été réglé en relativement peu de temps, sous la pression des marchés et les contraintes européennes, sans grande vision d'avenir, sans recul : un travail de comptables appliqués jouant avec les mesurettes proposées par chaque parti. C'est donc cela le projet d'avenir offert aux citoyens ? Suffira-t-il de leur vanter l'accord sur BHV et de leur parler de la crise et des marchés pour les convaincre de la rigueur, voire de l'austérité?

Quand les choses importantes sont venues sur la table - le volet socio-économique, le reste étant broutille -  on a vu qui était qui. Des socialistes, plus ou moins durs ou mous, des centristes humanistes indéfinissables et toujours imprévisibles, des libéraux, plus ou moins aussi, mais toujours arrogants, comme si l'arrogance et les convictions libérales allaient souvent de pair. Les verts ont été éjectés, pour négocier ce deuxième volet. On les voulait bien pour disposer d'une majorité des deux tiers sur le volet institutionnel, mais, pas pour le volet socio-économique. Ils risquaient de faire basculer l'union nationale trop à gauche peut-être ?  Dommage. S'il y a bien une mouvance politique qui prône l'union et rejette les frontières intra-nationales, c'est bien Groen/Ecolo pourtant. Conscient des enjeux de ce monde, ils trouvent déplacées les divisions linguistiques des autres.

Ce qui me frappe, dans les propositions qui font l'objet de ce budget, que je ne connais encore que par la presse, relève de ceci :

- il n'y a pas de plan concret de relance de l'activité économique (mais est-ce encore une compétence fédérale, ou régionale, ou les deux et qui doit faire quoi ?) ;

- on fait porter par les plus fragilisés sur le marché de l'emploi un poids extrêmement lourd (chômeurs, demandeurs d'emploi, jeunes en stage d'attente, pré-pensionnés, pensionnés), comme s'ils étaient tous des profiteurs d'un système. Mais quel emploi leur offre-t-on ? Et qui finance le système ? L'Etat réduit le nombre de ses fonctionnaires, car il faut sabrer dans les dépenses, disent les libéraux. Les entreprises ? Il faut les aider à être plus compétitives, avec moult avantages fiscaux et autres. Les plus grandes d'entre elles, celles qui pèsent le plus lourd, en termes d'emploi, ne cessent pourtant pas de licencier et de délocaliser, quand bon leur chante, malgré les avantages offerts. J'attends des politiques libéraux qu'ils révèlent, un jour, en un tableau, le nombre d'emplois que leurs ministres, en charge des questions économiques et financières, dans les gouvernements où ils sont actifs, ont créés et supprimés. Cela serait fort instructif.

- il n'y a rien sur la régulation et l'encadrement des marchés financiers, à peine sur la spéculation, rien sur une séparation entre les banques de crédit et les banques d'affaires ;

- on supprime, sans crier gare, les aides aux particuliers qui ont fait le choix d'une énergie durable, alors que, pendant ce temps, à genoux devant les arrogants dirigeants d'Electrabel, le gouvernement en devenir a réduit au minimum minimorum la contribution de cette société privée sur la rente nucléaire ;

- j'allais oublier les classes moyennes ! Que fait-on des classes moyennes et quand fait-on partie des classes moyennes ? Il faut, si j'ai  bien compris, avoir un revenu qui vous situe au dessus des mal nantis - qu'il faut protéger par bonne conscience - et en dessous de ceux qu'il faut protéger aussi, parce qu'ils représentent l'argent, l'espoir, le potentiel d'investissement du pays, dit-on. Une étude a fixé, je crois, le revenu mensuel moyen des classes moyennes entre 1240 et 3000 euros net. Dorénavant, la catégorie des mal nantis va être un peu élargie : on sera plus souvent qu'avant un mal nanti (fiscalement parlant, bien entendu, mais est-ce bien rassurant ?). Alors que le MR s'est présenté comme le défenseur des classes moyennes, il est aussi le signataire d'un accord portant de 15 à 21 % le taux du précompte mobilier sur les intérêts, soit le produit du mode de placement préféré des bons pères de famille dans les classes moyennes. Mon père n'en croit pas ses oreilles, lui qui n'est pas gauchiste. Déjà qu'il a dû subir la menace d'un impôt allemand de 17 % sur la retraite de 85 euros qu'il touche chaque mois pour avoir été enrôlé de force pour travailler en Allemagne, lors de la deuxième guerre mondiale. Mon père en effet ne s'est pas enfui dans le sud de la France - en avait-il les moyens ? - comme d'autres de ses congénères. Le MR, le parti qui défend les classes moyennes, a su imposer en négociation un choix qui interpelle : ne pas trop toucher aux intérêts notionnels, dont on a certes retenu les abus, mais dont personne ne semble capable de démontrer rigoureusement l'effet bénéfique. C'est le propre des mesures libérales. Elle repose toujours sur un acte de foi : le marché libre conduit toujours à l'utilisation la plus opportune des ressources. Même la réalité n'est pas capable de déstabiliser un dogme.

- quant aux autres, ceux qui se situent un cran au dessus des classes moyennes, on leur impose ceci: une maigre contribution, s'ils recueillent un peu trop de revenus de leur patrimoine (mais pas d'impôt sur la fortune). En outre qu'ils se rassurent : une nouvelle "déclaration libératoire unique" (ce sera la troisième !) leur permettra de rapatrier, sous nos nuages, leurs capitaux massés (ou planqués ?) à l'étranger. On passera l'éponge sur toutes leurs turpitudes, une contribution symbolique suffira ... Ceci est contradictoire, quand on évoque par ailleurs, de manière incantatoire, un renforcement de la lutte contre la fraude fiscale et sociale. La DLU est un autre exemple type d'une mesure d'inspiration libérale. Le ministre Reynders, triomphaliste, s'est beaucoup vanté du succès des DLU précédentes. Les régularisations - entendez par là, les arrangements entre bons amis - ont bien entendu rapporté un peu d'argent à l'Etat. Quant à l'affectation des fonds rapatriés, aucune information. Ont-ils été utiles à l'économie belge ? Nul ne le saura jamais. Un emprunt de l'Etat belge a été lancé, il y a quelques jours et il rencontre un succès inattendu. Si j'ai bien entendu, les experts du gouvernement en affaires courantes attendaient 200 millions, on est à plus de 5 milliards ! Vous m'avez bien entendu. Il n'est pas nécessaire d'inventer des choses alambiquées : quand l'Etat sollicite le bon père de famille, celui-ci répond présent. Vous rendez-vous compte du nombre de milliards apportés ainsi au budget de l'Etat ? En décidant que le taux du précompte resterait de 15 %, tout en affichant un taux d'intérêt de 4 %, le gouvernement en affaires courantes a fait fort et coup double. Il a aussi, comme qui dirait, désavoué les mesures du nouvel accord gouvernemental. Est-il nécessaire de préciser que la tentative d'aligner le taux du précompte mobilier sur les intérêts par rapport au taux du précompte mobilier sur les dividendes n'était pas une revendication socialiste. On s'indignait plutôt à droite que les pépères, comme mon père, ne paient que 15 % sur leurs placements prudents, alors que les flamboyants investisseurs à risque (oh ... que j'aime le risque, dirait un des Frères Jacques) devaient payer sur leurs dividendes 25 % de précompte. Quelle injustice ! Vous voyez à quoi cela tient !

Alors des hommes et des femmes vont descendre dans la rue. Seront-ils tous des syndicalistes de gauche ? Je n'en suis pas sûr. Est-il déplacé de penser qu'un nombre grandissant de citoyens  désire un autre modèle de société, d'autres valeurs ? Pour cela, il faut formuler des valeurs qui ne sont pas les valeurs dominantes. Il faut inventer et convaincre.

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