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lundi 21 novembre 2011

Baptême estudiantin et famille roumaine

C'était hier, je me rendais au concert.

Je croise une première fois des étudiants, des "bleus", comme on dit, en train de marcher au pas, en chantant (beuglant ?), sous les invectives des organisateurs de leurs agapes. Comme cela n'avait rien de bien méchant, je me suis résolu à jouer au vieux ronchon qui se tait.

Revenant d'où je devais aller, je croise à nouveau ce triste cortège. Oui triste, parce que rien n'y était drôle. Les "bleus" devaient se prosterner devant les anciens, puis monter à genoux les escaliers qui mènent à la passerelle et ensuite franchir celle-ci à quatre pattes, après s'être roulés antérieurement dans de la boue et de la farine, toujours sous les invectives, notamment de deux walkyries en tablier blanc, particulièrement démontées. Personne ne riait, ne souriait. C'était un rituel sans humour et aux relents plutôt malsains.

Une homme m'aborde alors, il était accompagné de sa famille, sa femme et ses deux enfants, un jeune ado et une petite fille. Ils avaient l'air horrifié, ils ne comprenaient pas ce qui se passait. De toute évidence, ils venaient de Roumanie, la maman n'avait que des dents en or. Des demandeurs d'asile sans doute. Ces demandeurs d'asile étaient indignés, et paniqués, cela évoquait peut-être pour eux des choses qui n'avaient rien d'un jeu de rôle. Ils ne comprenaient pas que des choses comme celles-là existent ici, chez nous.

J'ai dû leur expliquer que c'était une tradition estudiantine, que je ne l'approuvais pas du tout, qu'ils devaient se rassurer, que c'est un jeu. J'ai vu dans leurs yeux qu'ils ne comprenaient pas et qu'ils avaient peur.

Les arabes du quartier sont tout aussi perplexes. Je ne sais si de jeunes musulmans participent à ces drôles d'agapes païennes. Je pense que, pour leurs parents, c'est incompréhensible, pour eux aussi peut-être. A cela aussi, entre autres choses, mesure-t-on le degré de civilisation, d'un individu.

Devais-je répondre, à la famille roumaine qui m'interpelait, que les futures élites intellectuelles de notre pays voient deux raisons pour perpétuer ces pratiques :
- cela favorise l'intégration ;
- cela crée de la solidarité.
Mettez-vous à ma place, j'aurais donc dû expliquer à ces roms, fuyant l'humiliation qu'ils subissent un peu partout, qu'en Belgique, il faut passer par des rites d'humiliation pour pouvoir s'intégrer et espérer bénéficier de solidarité ! Et que ce sont les jeunes qui le leur disent. J'ai imaginé combien grandes devaient être leur désillusion et leur détresse.

Les walkyries, auxquelles je me suis adressé un peu vertement, tout en appelant les jeunes à quatre pattes à se relever, à ne pas courber l'échine, à savoir dire non, m'ont répondu que c'est la tradition et que le Recteur de l'université l'autorise (ou à tout le moins le tolère).

L'argument de la tradition. Bien des traditions ne sont pas bonnes (le crime d'honneur, par exemple, dans certaines sociétés musulmanes). Une pratique ne devient pas acceptable parce qu'elle repose sur une tradition. On parle aussi souvent, à propos de ce qui nous préoccupe, de folklore estudiantin.  Ce que je vois à l'occasion des baptêmes d'étudiants ne relève en rien du folklore. Vivant dans un quartier très folklorique, je puis vous dire que si la capacité bibitive de la population folklorique n'a rien à envier à celle des étudiants, l'esprit est tout autre. Voulez-vous que je vous dise la différence ? Quand une haguette de Malmédy, vous demande de vous agenouiller et de demander : "pardon, haguette !". Tout se fait dans la bonhomie et la rigolade. Il n'y avait ni rigolade, ni bonhomie, chez les étudiants que j'ai croisés hier. Juste une tradition vide de sens et inquiétante.

L'autorisation, ou la tolérance, du Recteur me font un peu sourire. Je me dis en effet ceci. Je ne suis nullement opposé aux guindailles étudiantes, aux manifestation en tous genres, mais, si j'étais recteur (ce que je ne serai jamais et qui ne représente pas grand chose face aux cercles d'étudiants), je dirais : amusez-NOUS ! faites preuve d'HUMOUR! ne faites pas, chaque année, la même chose : SURPRENEZ-NOUS ! créez donc, tous les ans, un événement dans la ville qui profite à TOUS les citoyens, plutôt que d'imposer à tous, dans la ville, vos cortèges pitoyables et les résidus de vos débordements. L'intégration et la solidarité ne seraient pas absentes, bien au contraire.

Il y a bien des années, des étudiants de l'UCL avaient visité une école très catholique avec un faux roi Baudouin. La police alertée par la direction de l'établissement, qui trouvait l'entourage du jeune roi un peu trop jeune, a alerté la police. Le gag n'a pas pu aller jusqu'à sa fin.


Par contre, moi j'ai vécu le gag jusqu'au bout, au collège Saint Servais, je devais être en 6ème ou 5ème, donc avoir 13-14 ans. La tradition était alors, dans les collèges et les lycées, de fêter les 100 jours (qui restent avant la fin de l'année). A la manoeuvre, les étudiants de rhétorique.

Ce jour-là, le préfet de discipline, le père Notté, était passé dans toutes les classes pour expliquer que le ministre de l'éducation nationale allait visiter le collège et que l'horaire des cours serait un peu perturbé. A une heure, qui n'était pas celle de la récréation, tous les élèves devaient être rassemblés dans la cour principale du collège, les 6A à tel endroit, les 6B à tel autre et ainsi de suite, chaque classe avec son titulaire. Une organisation très précise et très sérieuse. A l'heure dite, tout le monde était à sa place. Arrivent alors le père Recteur, les pères préfets des études (il y en avait deux: un pour les petits, un pour les grands), le père préfet de discipline, le père préfet spirituel et le ministre entouré de quelques autres autorités. Ils montent sur le podium préparé à cet effet. Le ministre s'adresse alors à nous les collégiens dans un discours bien préparé .... Quand tout à coup, au milieu de son discours, trois individus s'emparent du ministre et le jettent dans la piscine (à l'époque en plein air, juste à droite du jardin des pères). Je vous laisse imaginer le délire dans la cour, plus de 1000 élèves rassemblés ! Je ne sais pas si, après cela, nous avons été plus solidaires ou plus intégrés, mais au moins nos aînés fêtards nous avaient offert un bon moment avec une réelle complicité des autorités. C'est ce que n'offrent précisément pas  les "comitards" qui organisent  les baptêmes.

Petite provocation pour terminer : si j'avais disposé de fiches individuelles concernant les étudiants associés au rite du baptême estudiantin, j'aurais pu croire que tous ont une propension à se fondre dans la masse, à manquer d'esprit critique, à manquer de créativité, à organiser des choses vaines et répétitives ... bref, exactement tout le contraire de ce que l'on attend d'un esprit universitaire. Heureusement, je n'ai jamais disposé de telles fiches et je dois reconnaître que les pires d'entre eux n'ont pas toujours été les moins bons à l'examen. 

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