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vendredi 8 octobre 2010

Le droit, la justice et le citoyen

Deux décisions de justice récentes ont frappé les esprits:

- en Belgique, lors du procès dit "Habran bis", après cassation, un accusé a eu la surprise - c'est lui qui a confessé son état de surprise - de passer du statut de condamné à perpétuité au statut d'acquitté! S'agissant d'un procès en assises, le jury populaire n'était plus le même et il peut remercier son avocat d'avoir trouvé la faille ayant justifié un pourvoi en cassation. Belle victoire pour son avocat!

- en France, lors du procès "Kerviel", un trader a fait perdre 5 milliards d'euros à la Société générale pour avoir poussé un peu trop loin le jeu spéculatif. Il a été condamné à 3 ans de prison ferme et à indemniser son employeur, la Société générale, pour la totalité du préjudice subi.

Dans l'un et l'autre cas, il faut faire comprendre au citoyen que tout cela est bien légal: le droit, dans les deux affaires, a été en tout point respecté, appliqué. Or, ce que souhaite le citoyen lambda, ce n'est pas tant que la décision soit juridiquement irréprochable, c'est qu'elle soit juste. Dans les deux cas évoqués, je comprends qu'il éprouve certains doutes. Et peut-être une forme de méfiance vis-à-vis des gens de lois.

Approfondissons le sujet.

Dans le premier cas, le citoyen, dont je vais ici me faire le porte-parole, ne parvient pas à comprendre que les mêmes faits puissent, à deux moments rapprochés dans le temps, donner deux résultats aussi diamétralement opposés. Je vais devoir expliquer au citoyen des choses difficilement compréhensibles pour lui.

Tout d'abord, qu'est-ce qu'un fait? Un fait est un fait, me direz-vous. C'est faux. En droit, il doit d'abord passer par le filtre de la preuve. Le fait doit être prouvé. Le fait peut exister mais ne pas être suffisamment prouvé. De plus, il est possible qu'il soit prouvé, mais que la preuve n'ait pas été régulièrement apportée. Ainsi, en droit, un fait peut exister, mais peut ne pas être un fait pour les juristes qui vont le considérer. La décision rendue en droit se fonde par conséquent le plus souvent sur une fausse réalité. Et ne parlons pas des erreurs de procédure qui peuvent aboutir à ce que la réalité soit purement et simplement ignorée. Il en va ainsi aussi avec la prescription.

Ces mesures ont leur raison d'être, mais allez faire comprendre cela au citoyen!

Il faut ensuite expliquer au citoyen que le droit n'est pas une science exacte. Le juge applique la loi et doit même s'en tenir à appliquer la loi. Il n'en reste pas moins qu'il est le détenteur d'un large pouvoir d'appréciation. Dans le cas du jury populaire, cela est encore un peu plus le cas. Une fois qu'il s'agit de juger "en âme et conscience" deux jurys, composés différemment, peuvent juger différemment.

Le citoyen dira, avec raison: où est la vérité?

La vérité est un concept étranger au droit. Seules les religions (et les dictatures) prétendent détenir la vérité.

Venons-en au procès Kerviel.

Le citoyen, dans ce cas précis, attendait, au fond de lui-même, la condamnation d'un système, d'une finance irresponsable, des excès qui ont mené à une crise financière mondiale. Il oublie qu'en droit on ne juge jamais un système, aussi pourri soit-il.

Je ne suis pas à même de me prononcer sur la culpabilité, l'honnêteté, de Jérôme Kerviel, mais je retiens deux choses de la décision qui a été rendue:
- le jugement fait peser toute la responsabilité du préjudice subi par la Société générale sur le seul Jérôme Kerviel. En d'autres termes, la banque n'a jamais rien voulu, ni vu, ni su ... ce qui paraît un peu gros;
- que cherchait le juge en condamnant le sieur Kerviel à dédommager la banque de la totalité du préjudice subi? Décision à ce point irréaliste et inapplicable qu'elle ne peut être que symbolique. Etait-ce pour permettre à un représentant de la Société générale d'annoncer peu après que, par humanité, la banque renonce à l'indemnisation qu'elle s'est acharnée à obtenir devant le juge?

Tout ceci est bien légal, cher citoyen, et plusieurs hommes de lois ont contribué à appliquer le droit. Pourquoi restez-vous insatisfait? Parce que quelque part tout cela ne vous semble pas juste. Et vous pensez que ce qui se décide dans les palais de justice doit être juste.  Ne vous étonnez pas si la vérité judiciaire n'est pas toujours à l'aune de vos attentes.

Droit et justice? Ne conviendrait-il pas, à vrai dire,  de débaptiser nos "Palais de justice", pour les appeler "Maisons du droit"? Cela ne serait-il pas plus juste?

1 commentaire:

  1. Un ami m'a fait très justement remarquer qu'entre le procès Habran I et le procès Habran II est intervenue l'obligation pour les cours d'assises de motiver leur décision. C'est exact. Et il fallait le dire.

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